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23/4/2019

On s’est donné rendez-vous dans 10 ans...

La Hive est un résidence collaborative internationale de thecamp, qui réunit 20 jeunes créatifs du monde entier pendant six mois sur le campus pour travailler à des projets d’impact positif répondant à des objectifs de développement durable de l’ONU. Elle s'est tenue de 2017 à fin 2019.
Au programme pour cette semaine : l'éducation.

Suite à leur arrivée en mars dernier, les Hivers de la troisième promotion ont passé trois semaines d’« immersion », tous ensemble, sur le terrain, pour mieux se connaître et comprendre les grands sujets qui détermineront leurs choix pour le reste de la résidence : villes, alimentation, éducation. Mardi 9 avril 2019. Guillaume Carrel-Billiard, stagiaire de thecamp en réorientation vers le journalisme, passe une journée aux côtés des Hivers et de jeunes d’une École de la 2e Chance lors de la semaine d’observation dédiée à l’éducation.
En voici le récit !

 

Contexte

La troisième semaine de sensibilisation a commencé pour les Hivers et après la mobilité et l’alimentation, c’est l’éducation qui sera au centre des débats. Alors après s’être posés la question de ce que l’éducation représente pour eux lundi, je les imagine impatients d’échanger avec les jeunes de l’Ecole de la seconde chance de Marseille et leurs parcours « atypiques ». Ils posent leurs valises à thecamp, le temps d’une journée. Ils sont dix-sept jeunes en réinsertion professionnelle, dix-sept vécus uniques, surtout ; des profils sur lesquels il faudra compter, des sensibilités qu’il faudra savoir intégrer si on veut, une bonne fois pour toute, bâtir l’école de demain.

L’École de la 2e Chance, en bref.

C’est une structure associative qui accueille des jeunes de 16 à 25 ans en voie d’exclusion, sans emploi ni qualification. Chaque année ils prennent en charge des jeunes « décrocheurs » et les accompagnent pour favoriser leur réinsertion professionnelle et sociale. Chacune des écoles du réseau E2C (une quarantaine en France) est une structure indépendante, ancrée dans le territoire et en lien avec les entreprises environnantes. Elle propose à ses « stagiaires » des parcours individualisés, rémunérés et en alternance allant de 4 à 18 mois. Sur les 15 000 stagiaires accueillis en 2017, 66% ont trouvé un emploi ou poursuivent une formation, auxquels s’ajoutent 17% de stagiaires en situation dynamique.

10h — Début des hostilités

Stagiaires et Hivers se mélangent en plusieurs groupes pour se présenter les uns aux autres. Seule difficulté : la langue. Rappelons que sur nos vingt Hivers, seuls cinq peuvent jouer les traducteurs français/anglais et que ce chiffre n’est pas loin d’aussi s’appliquer aux stagiaires E2C. Pour contourner cette difficulté, et faire en sorte qu’aucun groupe ne s’isole dans la facilité d’une langue commune, les intervenants interdisent l’usage de la parole pour les introductions ! C’est donc à grands coups de frises chronologiques et de dessins plus ou moins évocateurs que les participants entament la conversation.

10h30 — Valeurs sans frontières

La glace est brisée, les deux groupes n’en font plus qu’un et les discussions vont bon train maintenant que la parole est revenue au centre des échanges. Anglophones, francophones — qu’importe ! C’est l’heure d’être curieux, alors on fait comme on peut, on dépêche un bilingue, on se précipite sur Google Translate et on laisse les mains mettre des images sur les mots qu’on n’a pas. Et s’il y a bien une chose qui est sur toutes les langues de l’open space, c’est la bienveillance.

On nous distribue des papiers sur lesquels écrire la chose la plus importante que nous avons jamais apprise et, après deux trois moues interloquées, les papiers sont noircis en une collection de valeurs à toute épreuve. Chacun son tour, en groupe de quatre, on s’échange nos mantras, assez longtemps et avec assez de gens pour se rendre à l’évidence : sur tous ces papiers, certaines valeurs sont reines, et qu’on soit de Namibie ou des quartiers Nord de Marseille, qu’on ait dix-huit ou vingt-cinq ans, qu’on soit athée ou musulman, on se réjouit de voir que le respect, l’ambition et l’effort n’ont pas de frontières.

11h30 — Intelligences et débat

Les intervenants introduisent le groupe à la théorie des intelligences multiples de Howard Gardner et demandent à chacun de se positionner dans la catégorie qui le représente au mieux. L’écrasante majorité des stagiaires et Hivers se rangent dans les catégories intra/inter-personnelles. Aucune idée de ce que je raconte ? Dites-vous simplement que parmi les huit options disponibles, la majorité des « cobayes » s’identifient d’abord comme des individus sociaux et empathiques, délaissant par ailleurs les intelligences que la plupart des systèmes éducatifs s’appliquent à surexploiter (notamment linguistique et logico-mathématiques). Et si chaque intelligence a sa place, si chaque profil doit être considéré et accueilli, il y a comme une fatalité rassurante qui se dégage de cette étude statistique improvisée, comme un rappel à notre nature d’êtres sociables, une nature parfois sous le joug de l’intelligence à outrance.

La théorie d’Howard Gardner digérée, le groupe organise un rapide débat que les intervenants nourrissent de quelques questions. Au menu, le procès du modèle d’enseignement actuel. Les avis fusent, divergent, s’accordent et le bilan se dresse de lui-même : l’école n’est plus l’endroit où on apprend le plus.

13h45 — Time-Capsules

Après le repas et quelques parties de pétanque, le groupe se remet au travail. Les intervenants viennent de leur confier l’objectif de l’après-midi : créer plusieurs « Time-Capsules » symbolisant tout ce qu’on voudrait avoir appris dans les dix prochaines années. Aucune contrainte, format au choix, tous médias confondus. Les groupes se forment et une équipe est dépêchée pour la création de la boîte — la « Capsule » — qui contiendra tous les projets finaux.

Au bout de deux heures assez pressées, de colloques avisés et d’aller-retours essoufflés, les groupes présentent à tour de rôle leurs créations.

Quand tout le monde est passé, on se dit qu’on ouvrira la boîte ensemble, dans dix ans, une capsule à la fois, histoire de voir si les engagements ont été tenus. On se dit ça un sourire en coin : on en doute un peu du « dans dix ans », mais au fond peu importe, puisqu’aujourd’hui on est ensemble, à immortaliser nos résolutions.

16h30 — Photo et au revoir, patience chauffeur !

Les Time-capsules sont scellées. On s’aligne en rang d’oignon entre l’Amphi et le Bar pour prendre la « photo de classe » d’une promotion éphémère. Le bus attend les stagiaires depuis maintenant un bon quart d’heure, le monde de demain ne sera apparemment toujours pas celui de la ponctualité :).

On joue les prolongations, comptant encore un peu plus sur la patience du chauffeur et on se dit au revoir. C’est un drôle de moment, comme la fin d’une colo condensée ; tout est décousu.

Ça serait mentir de dire qu’une journée aura suffi à créer des liens indéfectibles ; ça serait se voiler la face de croire qu’on se connaissait sur le bout des doigts et ça serait jouer au candide de se dire qu’on se rappellera tous, on le sait bien. On sait bien que ce qu’on vient de vivre, c’est une parenthèse. Et on sait bien que c’est devenu un souvenir à l’instant même où le bus est parti. On sait tout ça, on l’a très vite compris et encore plus vite accepté, sans le moindre vague à l’âme, en sachant pertinemment que l’intérêt de cette journée n’était pas enfermé dans les capsules ni griffonné sur un Post-it, mais qu’il était bel et bien là, un peu plus profond que tout ça, un peu plus global, comme un début d’étincelle, une ébauche, comme la première pierre à l’école de demain.

Ce qu’on retiendra de tout ça.

Qu’on se le dise : cette journée aura plus tenu du constat que d’un véritable début de révolution. Mais le constat est là, commun et unanime. L’éducation d’aujourd’hui est à revoir. C’est un premier pas.

De tous les jeunes adultes qui on pris part au débat, qu’ils soient sortis du système scolaire avec les Honneurs ou qu’ils aient décroché, tous se sont accordés pour dire que leur éducation a d’abord émergé de liens sociaux. Logiquement donc, les Capsules font la part belle à la tolérance, à la conscience écologique et au vivre ensemble, autant de choses trop grandes pour le quadrillé violet des cahiers d’écoliers, de ces choses que le calcul mental ne cultive pas.

Bien sûr, on retrouve aussi dans ces Capsules l’envie commune de développement des compétences, certains voulant profiter des dix prochaines années pour se faire la main en photographie ou apprendre l’espagnol, mais le désir dominant est sans aucun doute celui de revenir à une humanité perdue en route, entre l’enfance et l’âge adulte. Car si l’école ne nous apprend pas la tolérance, ne nous inculque pas les valeurs du partage, de l’échange, peut-on réellement parler d’éducation ?

Une journée. Six heures. Pas grand-chose pour être honnête. Pas grand-chose mais suffisamment. Six heures c’était bien assez pour voir se condenser une école grande de quarante élèves, le temps d’une longue récréation. C’était le sentiment qu’on avait à les voir tous échanger, débattre, s’ouvrir, comme si on avait recréé l’école in vitro, en partant de son essence : le lien social.

Quarante jeunes sur un pied d’égalité, tous dans le même bateau pour une journée, à nourrir l’ambition et à cultiver l’empathie en se partageant des bouts de vécus divergents. Comme un retour en enfance, sans méfiance ni prudence.

Soyons clairs, ce moment n’était pas un idéal ni un modèle à suivre pour la simple et bonne raison que ces choses n’existent pas. Mais c’était peut-être un premier pas vers ce que l’éducation doit remettre au centre des débats : l’art de faire société. Et si cette science s’inculque comme elle est en partie innée, alors peut-être que demain, l’école comprendra qu’elle a autant à apprendre de ses élèves qu’ils ont à apprendre de leurs professeurs.


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